Quelle distance sociale entre nous ?

Voici l’étape 2 de mes réflexions relatives au confinement. Sur cette expérience que nous partageons, j’ai eu envie de mettre des mots. En me rappelant que nous n’avons pas tous la « chance » d’être confinés. Certains travaillent dehors, dans les supermarchés, dans les usines, et ce n’est pas par choix non plus. Ce qui m’interroge aujourd’hui, c’est la notion de distanciation sociale.

Qui es-tu toi qui passes ?

Quelle période étrange où chaque passant qui passe devant ma fenêtre revêt une importance inédite, apparaît dans sa singularité, alors, qu’il y a quelques mois, quelques semaines, celui ou celle qui baguenaudait devant chez moi m’indifférait la plupart du temps… et ne s’arrêtait pas de son côté pour dire « bonjour » (quelle idée).

Et parfois, ô joie, le passant ou la passante est quelqu’un que je connais, si peu, mais tout de même, quelqu’un déjà croisé dans un autre contexte, alors, à distance respectable, nous arrêtons le flux si lent de nos journées de confinement et nous prenons le temps de nous parler. A plus d’un mètre l’un de l’autre. Cette fameuse distance sociale.

La distance de plus d’un mètre recommandée n’empêche pas la parole, l’échange d’idées, les sourires ou les confidences. A faire mieux connaissance. Avec l’entraide de voisinage se crée une nouvelle convivialité. Plus rare mais essentielle. Une réduction des distances, en quelque sorte.

Dis, quand reviendras-tu ?

En revanche, avec le confinement, cette distanciation sociale, mais surtout « physique » empêche jusqu’au 11 mai, et plus tard encore pour les « personnes vulnérables », d’inviter dans son salon, sur son canapé ou à sa table, les amis pour partager un verre, un repas, une nouvelle déco.

Et l’on se retrouve parfois à se demander : à quoi ça sert de cuisiner juste pour moi ? Car le bonheur de cuisiner pour deux, pour trois, pour la smala, c’est de pouvoir partager les saveurs, le tendre et le croustillant.

Quand on a un enfant, certes, on partage, mais, aussi, on s’en lasse vite, des pâtes…

Alors on se retrouve à faire comme ceux qui nous faisaient sourire jadis (« au temps d’avant ») lorsqu’ils photographiaient leurs assiettes pour les réseaux sociaux. Il s’agit désormais que nos « amis » virtuels nous disent qu’ils « aiment » notre plat sans l’avoir goûté, qu’ils apprécient virtuellement nos efforts culinaires et notre nouveau savoir-faire (entre nous, avant le confinement, je n’avais jamais fait des cookies, j’en ai désormais 3-4 recettes différentes).

Sans être naïf sur leur fonctionnement (« quand c’est gratuit, c’est toi le produit »), ces réseaux sont réellement sociaux, dans la mesure où ils permettent le lien. Et nous sommes nombreux à « offrir » au réseau, et à nos lointains proches, nos photos de chats, de fleurs… ou de cookies.

Creuser son puits 

Chacun, dans la solitude de son salon ou coincé avec la famille qui ne peut pas prendre l’air (ou si peu, une heure par jour), se retrouve confronté à des questionnements sur ses choix de vie. Ou à tenter de faire taire des émotions parfois contradictoires. Au total, nous aurons eu presque 2 mois de pause forcée dans le rythme habituel de nos vies ; non pas de repos (de vraies vacances au sortir de cette période seraient sans doute nécessaires pour la plupart d’entre nous) mais d’enfermement.

Mais à la question « suis-je à la bonne place », on ne peut trouver de réponse qu’en changeant le cadre. Vous savez, ce cadre qui borne nos réponses à être toujours les mêmes. Considérons aussi que si nous sommes « en mode pause », certes pas toujours très confortable, d’autres continuent de trimer, et pas forcément sous les applaudissements. Et si vous êtes en télétravail, vous n’avez pas forcément la chance d’avoir un bureau à l’écart des bruits et des jeux.

Le confinement est aussi un terrible révélateur d’inégalités, notamment en matière de logement, de conditions de vie, et jette une lumière nouvelle sur la distinction « ville / campagne » en inversant l’échelle des valeurs communément véhiculée. Je fais ainsi partie des privilégiées qui peuvent cueillir un bouquet à chaque sortie à moins d’un kilomètre de chez moi.

Ce que nous partageons en revanche, c’est que le temps passe différemment. Il y a moins de trafic qui rythme nos rues et nos routes, les gens font la queue pour faire les courses dans les petits commerces, une heure en visio ou « d’école à la maison » nous en paraît trois… Et pour ceux qui essaient de travailler, ce temps englué dans de nombreuses incertitudes (jusque quand ce virus va être là…, que vont annoncer les dirigeants lors du prochain discours…), ce temps dilué n’aide pas à la concentration.

Alors ne creusons pas comme des forçats pour trouver des réponses à la source. Je partage les messages enjoignant à ne pas vouloir à tout prix « réussir son confinement ». En revanche, j’imagine que nous cherchons tous à « réussir à ne pas subir notre confinement ».

Offrons nous donc des choix, de petits choix tous les jours. D’inventer un bon petit plat rien que pour soi, avec de nouveaux arômes – que l’on ne partagera pas forcément pour les réseaux sociaux (et on cuit des pâtes pour l’enfant, à côté, qui a droit lui aussi à son petit plaisir plein de ketchup). Mais aussi, de poser des jalons pour les choix futurs. Qui seront parfois contraints par des réalités économiques nouvelles. De réviser certains priorités. D’être plus attentifs à soi, à ses besoins, aux corps, aux autres.

Même à distance.


Alexandra Fresse-Eliazord
Dire&Ecrire

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